Blessé
pendant son service militaire, il y a un demi-siècle, Jean Mozelle (80
ans) raconte depuis une histoire troublante.
« E n 1999,
j'ai fait une varicelle, avec une complication pulmonaire gravissime »,
raconte Pierre Roulet, directeur technique d'une société qui fabrique
des prothèses articulaires. Hospitalisé en urgence à l'hôpital de
Thiers, il passe trois jours critiques et il est maintenu dans un coma
artificiel pendant deux semaines. « N'étant plus dans mon corps, ma
souffrance physique a disparu et j'ai ressenti une liberté totale. C'est
difficile à expliquer. On est à la fois tout et partie de
l'environnement. Il suffit de penser à quelqu'un pour être directement
en prise avec lui. J'ai perçu des communications téléphoniques qui me
concernaient. »
« Je n'ai pas vu distinctement mon corps,
continue ce quinquagénaire, mais j'ai observé les médecins me faire une
échographie et la présence d'un spécialiste de Roanne venu tout exprès
pour moi, j'ai entendu les commentaires sur mon état et j'ai mal vécu le
fait d'être traité comme un objet par une infirmière. Pourtant, selon
les médecins à qui j'ai raconté cela plus tard-et qui ont confirmé mes
dires-, je n'étais pas en état de capter quoi que ce soit. [...] A
plusieurs reprises, j'ai vraiment eu l'impression de sortir de mon
corps. Une fois, j'ai repris conscience dans le corps d'une femme,
hospitalisée en réanimation. Cela paraît complètement aberrant, mais je
ne l'oublierai jamais. Ça m'a permis de comprendre qu'au niveau du
psychisme hommes et femmes sont très différents. »
Comme Pierre
Roulet, ceux qui ont vécu une expérience de mort imminente (Emi)
hésitent à en parler, de peur de passer pour des dingues. Et, souvent,
les médecins considèrent que ce sont de simples hallucinations. Mais ces
individus conservent des souvenirs si vivaces et précis, même des
décennies plus tard, qu'ils sont certains de ne pas avoir rêvé. Pour le
docteur Jean-Pierre Jourdan, directeur de la recherche médicale de
l'association IANDS-France (International Association for Near-Death
Studies), qui étudie ces phénomènes depuis une vingtaine d'années, « les
Emi ne sont pas des concepts politiquement corrects, ni sur le plan
médical ni sur le plan psychologique ».
Comment peut-on prétendre
en effet percevoir de manière si tangible des choses que les gens en
bonne santé ne peuvent même pas imaginer ? Comment revivre sa vie
entière en un instant, en comprenant tant d'éléments qui nous avaient
échappé ? Comment se souvenir de tout, puisque les structures
responsables de la mémorisation sont alors aussi efficaces qu'un pot de
yaourt ? Si ce sont des hallucinations, pourquoi sont-elles si logiques,
et portant sur des scènes aussi banales que précises ? Enfin, comment
une expérience qui n'a parfois duré que quelques secondes peut-elle
changer la vie de ceux qui l'ont vécue ?
Jean-Pierre Jourdan a
publié un livre dans lequel il tente de répondre à ces questions. Il y
analyse les dossiers de 70 patients et l'état actuel de la recherche. Il
recense les circonstances de survenue, leurs points communs et avance
quelques hypothèses, notamment pour expliquer la vision en perspective. «
Nul ne sait, aujourd'hui, pourquoi des expériences similaires peuvent
se dérouler dans des états physiologiques et fonctionnels cérébraux très
variés , admet-il pourtant. On remarque seulement qu'elles surviennent
presque toujours lors d'un état d'inconscience évident pour un
observateur extérieur. Mais, si vous dites à votre réparateur télé qu'en
débranchant votre poste vous avez une image en relief avec des couleurs
magnifiques et un son stéréo, il aura de quoi être sceptique. »
L'étudiant
infirmier dont le docteur Jourdan raconte l'histoire a bien dû se
pincer après sa rencontre, un jour, dans le couloir de l'hôpital, avec
un vieux monsieur arrivé aux urgences en arrêt cardiaque quelque temps
auparavant. « Alors, tu as fini par la trouver, la planche ? » lui
a-t-il demandé, hilare. La planche, c'était celle nécessaire au massage
cardiaque qui n'était pas rangée à sa place habituelle. « Je t'ai vu,
d'en haut, courir partout », a continué le ressuscité.
Vannina
Van Schirin est graphiste-enlumineur, dans la région de Vichy. Cette
femme de 35 ans a été victime d'une électrocution, à l'âge de 14 ans, en
voulant réparer un lampadaire. « J'ai hurlé, j'ai senti mon coeur qui
se contractait violemment, j'ai entendu un grand boum à l'intérieur et
dans la seconde même je me suis retrouvée en dehors de mon corps,
raconte-t-elle. Je me suis alors sentie comme dans une espèce de brume,
capable de voir à 360 degrés et de zoomer sur les points qui
m'intéressaient. J'étais dans une totale sérénité. Tout d'un coup, j'ai
senti une présence sur mon côté droit. Un espèce de nuage rose fuchsia
qui dégageait un amour absolu. J'étais comme une éponge face à l'émotion
de cet être qui m'envoie l'idée de regarder en l'air. Là je vois, sur
une sorte d'écran, mes quatorze années défiler. Je ne sens aucun
jugement de la part de l'être de lumière. Je vois aussi la vie des gens
qui m'ont entourée et leurs sentiments. Puis l'être de lumière me
demande si je suis prête à partir et je réponds OK, même si je me trouve
un peu jeune. J'ai alors la sensation que ma tête s'ouvre et je prends
connaissance d'un savoir dont on n'est pas censé se rappeler : des
souvenirs de plusieurs vies antérieures, l'intérêt de cette vie-là, tout
arrive d'un coup. »
Pour le docteur Steven Laureys, un
neurologue belge de renom, spécialisé dans la recherche sur le coma à
l'université de Liège, l'Emi pourrait résulter d'un dysfonctionnement
cérébral. « En stimulant la région temporo-pariétale droite du cerveau,
on provoque ce genre d'expérience de décorporation, explique-t-il. Ce
constat a été réalisé chez des patients qui devaient être opérés d'une
épilepsie sévère, afin de repérer très précisément les zones à détruire.
C'est une des composantes des Emi qui est bien expliquée maintenant. De
même, pour tout ce qui est perception visuelle, tunnel, on sait qu'on
peut provoquer ce genre d'hallucination en stimulant les aires
visuelles. C'est pourquoi je ne vois pas l'intérêt d'ébaucher des
théories qui vont violer les lois de la physique en vigueur. »
Cette
explication ne satisfait nullement le docteur Jean-Jacques Charbonier.
Pour cet anesthésiste-réanimateur à Toulouse, qui a écrit plusieurs
livres et réalisé de multiples DVD autour du thème de la mort, «
l'hallucination provoquée par le neurochirurgien permet juste d'avoir la
sensation de quitter son corps. Pendant l'Emi, les personnes sont
capables de voir l'environnement, de regarder à travers les murs,
parfois à des kilomètres, et de capter des conversations ». Rien, selon
lui, ne permet aujourd'hui d'expliquer ce phénomène.
DécorporationD'autre
part, dans une Emi, la notion du temps s'évapore. Le passé, le présent
et le futur se confondent. Même si une chronologie des événements
subsiste, le présent n'est plus soumis à l'inexorabilité du temps qui
passe. L'expérience de Karène Béalas le montre bien. Cette femme de 38
ans est coach à Marseille. « A l'âge de 23 ans, je me suis réveillée une
nuit avec des fourmis partout. J'ai voulu bouger mais je n'y suis pas
arrivée. Et, tout d'un coup, j'ai senti quelque chose qui essayait de
sortir de moi par le haut de ma tête. Tout mon corps s'est alors
contracté pour l'en empêcher, avec succès. Puis je me suis rendormie. »
Au
réveil, son coeur bat la chamade. Sa tachycardie dure jusqu'à ce qu'une
amie, Martine, lui fasse faire des exercices de respiration. Et lui
explique qu'elle a dû subir une tentative de décorporation. « Je n'avais
jamais rien lu sur le sujet, je voulais comprendre ce que c'était et
pourquoi ça m'était arrivé, raconte-t-elle. J'ai donc accepté une séance
d'hypnose, en espérant obtenir des réponses. »
Rapidement, elle «
échappe » au contrôle de Martine, appelée par une lumière vive mais pas
aveuglante. « A partir de ce moment, je ressens une sensation de
bienveillance, d'amour indescriptible. Je ne suis pas matérialisée. D'un
seul coup, " on " (je n'ai vu personne) me pousse à lever les yeux et
je découvre une espèce de grande bibliothèque, bien rangée, dans
laquelle je vois mon passé, mon présent et mon futur. J'entre dans
plusieurs des scènes. A un moment, je me retrouve dans un arbre et je me
sens arbre. Depuis, je sais que tout est lié. Puis je suis reconduite
devant la porte. J'entends à nouveau Martine qui me " ramène ". Elle se
déclare très soulagée, car elle m'avait " perdue " pendant une dizaine
de minutes. Moi j'ai fait tellement de choses que je pensais que ça
avait duré un an. »
Si Karène Béalas a effectué un retour en
douceur, ce n'est manifestement pas le cas le plus fréquent. « J'ai fait
le choix douloureux de revenir au lieu de rester, je ne sais pas
pourquoi, indique Pierre Roulet. La souffrance était non seulement
physique, mais aussi liée à la réintégration de mon corps. » Quant à
Vannina Van Schirin, elle rentre brutalement dans son corps dès que son
frère, alerté par ses cris, débranche le lampadaire. « J'ai l'impression
que je m'y encastre très mal, se souvient-elle. C'est une vraie boîte à
sardines, c'est trop petit, c'est froid, dur et très douloureux. »
Un
autre sujet d'étonnement est la précision de la mémoire des personnes
qui ont vécu une Emi. « Ces souvenirs ne s'estompent pas avec le temps,
ajoute le docteur Jourdan. Ils n'ont manifestement pas été acquis de la
même façon que des événements ordinaires ; ils n'ont sans doute pas
transité par les organes des sens, ni probablement par les aires
cérébrales primaires, hors d'usage du fait de l'inconscience apparente
et de la fréquente absence d'activité cérébrale (électroencéphalogramme
plat). »
« ma vie est belle. »Ce
souvenir aigu est sans doute à l'origine du changement de comportement
de tous ceux qui ont réalisé ce « voyage ». « Quand je suis sorti du
coma, j'ai vécu six mois extrêmement pénibles, se souvient Pierre
Roulet. J'ai dû me réadapter à un univers beaucoup plus restreint au
niveau de la pensée, de la communication, que l'expérience que j'ai
vécue. J'ai eu envie d'aller dans les hôpitaux pour parler aux gens qui
sont dans le coma. Et les rassurer. » Karène Béalas en tire un bilan
positif : « Je suis très sereine face à la mort, la mienne et celle des
gens que j'aime, car je sais où ils vont aller. Cette expérience a
changé mon existence et maintenant je l'apprécie. Ma vie est belle.
Mais, ayant été élevée par une famille non croyante, je refuse d'y voir
l'existence de Dieu. »
Justement, certains redoutent les
tentatives de récupération, notamment par les religions. « Dieu, l'âme,
les Emi (ramenées au concept réducteur de vie après la mort),
l'astrologie et les pseudo-sciences ne doivent pas être mis sur le même
plan, prévient le docteur Jourdan. Si nous voulons réellement avancer,
il faut détacher ces expériences de toute connotation idéologique. »
La
plupart des personnes qui acceptent de raconter leur Emi n'ont aucune
croyance religieuse. Vannina Van Schirin vient d'une famille athée, où
l'on ne parle ni de religion ni de spiritualité. Et qui lui interdit
d'évoquer son expérience. « Mes proches pensent que j'ai " chauffé un
peu trop la résistance". En tout cas, je me suis mise à détester les
Eglises, les religions, les gourous, les maîtres, les défenseurs du New
Age. Pour moi, la religion, c'est la maternelle de la spiritualité. »
Tous
ces témoignages ne feront plus sourire personne le jour où l'on pourra
prouver leur véracité. Certes, on peut être troublé par le récit de Jean
Morzelle, aujourd'hui âgé de 80 ans, qui a été blessé à la poitrine par
une balle en bois (les anciennes balles à blanc) lors de son service
militaire, il y a plus d'un demi-siècle. « Pendant l'opération, je me
suis réveillé... tout en haut dans l'angle d'une pièce, écrit-il dans un
livre . Je n'éprouvais aucune angoisse. J'étais parfaitement bien. Je
voyais les chirurgiens s'affairer. Ma vision était à 360 degrés et je
pouvais regarder selon des angles différents. » Il remarque alors sous
la table d'opération une plaque « Manufacture d'armes et de cycles de
Saint-Etienne ». Dont la présence est confirmée, quand il raconte son
histoire au personnel soignant.
« Attention, quelques témoignages
ne constituent en rien une preuve scientifique, insiste le docteur
Steven Laureys. Toute la question des Emi est de savoir si l'on peut
contrôler ce vécu et s'il n'y a pas un biais de faux souvenirs. Il est
bien connu que notre cerveau fonctionne avec ce genre d'associations. Il
est donc très difficile de faire la part des choses. Mais, pour ceux
qui la racontent, c'est une réalité. Le médecin ne doit jamais mettre en
doute ce que son patient lui dit. Il faut accepter ce que l'on ne peut
pas complètement expliquer. »
Expériences en coursPour
tenter d'avoir des preuves irréfutables, il est donc indispensable de
mener des expériences contrôlées. « Des études ont été faites en mettant
des objets sur les armoires, continue le spécialiste belge. Certaines
sont clôturées, d'autres toujours en cours, mais jamais on n'a pu
démontrer scientifiquement que ces patients sont capables de décrire les
objets qui se trouvaient sur les armoires. »
Une expérience est
en cours, à King's College de Londres. Elle consiste à placer des cibles
visuelles, tournées vers le haut, au plafond de salles de réanimation.
Mais comme elles peuvent être visibles, par exemple avec un miroir, ses
résultats seront sujets à caution.
D'où l'idée d'une autre
expérience lancée actuellement, notamment aux Etats-Unis et en France,
qui consiste à mettre des objets colorés, voire clignotants, dans des
conteneurs métalliques scellés et numérotés de manière aléatoire par un
huissier de justice. Il suffirait d'un seul témoignage juste et précis
pour fournir une preuve irréfutable de l'existence de ces Emi. Pour
Steven Laureys, « cela mettrait en question toutes nos lois sur le
fonctionnement du cerveau. On espère tous que c'est vrai. On aimerait
être sûrs qu'il y a quelque chose après la mort et que c'est agréable. »
Source:
Le point