Dans son excellent ouvrage : " La mort et son mystère ",
Camille Flammarion, notre célèbre astronome , nous fait
partager ce témoignage extraordinaire qui a valeur
scientifique, puisqu'il est relaté par un médecin qui en a
été le témoin direct. ( pages 325 à 328 ) :
Dans son ouvrage : "Contribution à l'étude de certaines facultés
cérébrales méconnues", le Docteur W.
De Sermyn rapporte un fait remarquable, observé également par lui-même
dans sa longue carrière.
L'observation technique que l'on va lire est assurément des plus
stupéfiantes. Elle est due à un savant
médecin, excellent observateur. N'y a-t-il, comme le pense l'auteur, que
des facultés cérébrales en jeu
dans l'histoire que l'on va lire ?
Docteur W. De Sermyn :
<< Jean Vitalis était un homme robuste, gros, sanguin, marié, sans
enfants, jouissant d'une parfaite santé.
Il devait avoir 39 ans lorsqu'il fut subitement pris d'une fièvre
violente et de douleurs articulaires. J'étais
son médecin : les symptômes étaient ceux d'un rhumatisme articulaire
aigu.
Le traitement actuel de cette maladie par les salicylates n'était pas
encore connu. Nous traitions alors par
la quinine, l'opium, le nitrate de potasse, le colchique, les boissons
diurétiques, etc., etc. Le mal traînait
pendant six à sept semaines, et se terminait le plus souvent par la
guérison. Quelquefois, cependant, la
mort arrivait à la suite de complications cardiaques ou cérébrales.
Je fus surpris, le matin du seizième jour, de trouver Jean Vitalis tout
habillé, assis sur son lit, souriant, ayant
les pieds et les mains entièrement dégagés, et ne présentant plus la
moindre fièvre.
Je l'avais laissé, la veille, dans un triste état. Les articulations de
l'épaule, du coude, des mains, du genou,
des pieds, étaient tuméfiées et douloureuses. Il avait une forte fièvre,
et je ne pouvais prévoir que j'allais le
trouver aussi frais et dispos.
D'une façon très calme, il me dit qu'il attribuait sa guérison subite à
une vision qu'il avait eue pendant la nuit.
Il assurait que son père, mort depuis quelques années, lui était apparu.
Voici, à peu près, ce qu'il me dit :
" Mon père est venu me visiter cette nuit. Il est entré dans ma chambre
par cette fenêtre qui donne sur le
jardin. Il m'a d'abord bien regardé de loin, puis il s'est approché de
moi, m'a touché un peu partout pour
enlever mes douleurs et ma fièvre, ensuite il m'a annoncé que j'allais
mourir ce soir, à 9 heures précises.
Au moment de son départ, il a ajouté qu'il espérait que j'allais me
préparer à cette mort, comme un bon
catholique. J'ai fait appeler mon confesseur, qui arrivera bientôt ; je
vais me confesser et communier ;
ensuite, je me ferai donner l'extrême-onction. Je vous remercie beaucoup
pour vos bons soins, ma mort
ne sera pas causée par un manque quelconque de votre part. C'est mon
père qui la désire ; il a sans doute
besoin de moi ; il reviendra me prendre à 9 heures, ce soir. "
Tout cela était dit d'une façon très calme, avec un visage souriant, et
une réelle expression de contentement
et de bonheur rayonnait sur ses traits.
-- Vous avez eu un rêve, une hallucination, lui dis-je, et je m'étonne
que vous y ajoutiez foi.
-- Non, non, répliqua -t-il, j'étais parfaitement éveillé, ce n'était
pas un rêve. Mon père est vraiment venu, je l'ai
bien vu, entendu, il avait l'air bien vivant.
-- Mais, cette prédiction de votre mort à heure fixe, vous n'y croyez
pas, puisque vous voilà guéri ?
-- Mon père ne peut pas m'avoir trompé. J'ai la certitude que je vais
mourir ce soir, à l'heure qu'il m'a indiquée.
Son pouls était plein, calme, régulier, sa température normale. Rien
n'indiquait un malade gravement atteint.
Cependant, je prévins la famille que des morts survenaient parfois dans
les cas de rhumatisme cérébral, et le
Docteur R . , un vieux et excellent praticien, fut appelé en
consultation. Il arriva et fit devant le malade toutes
sortes de plaisanteries au sujet de son hallucination et de sa prétendue
mort prochaine ; mais à part, devant
sa famille réunie, il dit que le cerveau était atteint, et que, dans ce
cas, le pronostic était grave.
-- Le calme du malade, ajouta-t-il, est bizarre, et insolite. Sa
croyance à l'objectivité de sa vision et à sa mort
prochaine est surprenante. Ordinairement, on a peur de la mort, lui n'a
pas l'air de s'en soucier, au contraire,
il paraît heureux et content de mourir. Cependant, je puis vous assurer
qu'il n'a pas l'air d'un homme qui va
mourir ce soir ; quant à fixer d'avance le moment de sa mort, c'est de
la farce.
Je revins vers midi voir mon malade, qui m'intéressait vivement. Je le
trouvai debout, se promenant de long en
large, et cela d'un pas ferme, sans le moindre signe de faiblesse ou de
douleur.
-- Ah ! me dit-il, je vous attendais. Maintenant que je me suis confessé
et que j'ai communié, puis-je manger
quelque chose ? J'ai une faim atroce, mais je ne voulais rien prendre
sans votre permission.
Comme il n'avait pas la moindre fièvre et qu'il présentait toutes les
apparences d'un homme en parfaite santé,
je lui permis de manger un beefsteak aux pommes !
Je revins vers 8 heures du soir. Je voulais être auprès du malade pour
voir ce qu'il allait faire lorsque les 9 heures
seraient venues.
Il était toujours gai ; il prenait part à la conversation avec entrain
et raisonnablement. Tous les membres de sa
famille se trouvaient rassemblés dans sa chambre. On causait, on riait.
Son confesseur, qui se trouvait là, me
dit qu'il avait dû céder aux instances réitérées du malade, et qu'il
venait de lui administrer l'extrême-onction.
" Je ne voulais pas le contrarier, ajouta-t-il, il insistait tellement !
Du reste, c'est un sacrement que l'on peut
administrer plusieurs fois. "
Il y avait une pendule dans la chambre, et Jean, que je ne perdais pas
de vue, y jetait de temps en temps des
regards anxieux. Lorsqu'elle vint à marquer 9 heures moins une minute,
et pendant que l'on continuait à rire et
à causer, il se leva du sofa sur lequel il était assis et dit
tranquillement :
-- " L'heure est venue. "
Il embrassa sa femme, ses frères, ses soeurs, puis il sauta sur son lit
avec beaucoup d'agilité. Il s'y assit,
arrangea les coussins, puis, comme un acteur qui salue le public, il
courba plusieurs fois la tête, en disant :
-- " Adieu, adieu ! ", s'étendit sans se hâter, et ne bougea plus.
Je m'approchai lentement de lui, persuadé qu'il simulait la mort. A ma
grande surprise, il était mort, sans
angoisse, sans râle, sans un soupir : il était mort d'une mort que je
n'ai jamais vue.
On a d'abord espéré que ce n'était qu'une syncope prolongée, une
catalepsie ; l'enterrement a été longtemps
différé, mais il a fallu se rendre à l'évidence devant la rigidité
cadavérique et les signes de décomposition qui
s'ensuivirent. >>
Docteur W. De Sermyn