Ne suffit-il pas d’assister à une cérémonie religieuse pour éprouver, même contre son gré, la magie de l’encens ? ses volutes bleutées qui emplissent le sanctuaire le purifient, ainsi que le prêtre et les assistants. Elles montent vers le ciel, telle l’offrande qui lui fût de tout temps destinée.
Depuis l’antiquité la plus reculée, toutes les religions ont utilisé l’encens. D’ailleurs, religion et encens ne peuvent être séparés. Religion du latin religio (vénération) et relegere (relier) est un mot qui exprime le lien entre les hommes et Dieu. L’encens brûlé durant un rituel religieux établit le lien entre la terre et le ciel, portant les prières au ciel.
Le symbolisme de l’encens relève à la fois de celui de la fumée, du parfum et des résines incorruptibles qui servent à le préparer. Les arbres qui le produisaient ont parfois été pris comme symboles du Christ.
La fumée d’encens est chargée d’élever la prière vers le ciel et il est, en ce sens, un emblème de la fonction sacerdotale. L’usage de l’encensement, qui est universel, a partout la même valeur symbolique : il associe l’humain à la divinité, le fini à l’infini, le mortel à l’immortel. Il n’y a pas tant de différences, en ce sens, entre la fumée du bûcher funéraire, celle du copal maya, de l’encens chrétien et du tabac chez les Amérindiens.
Les anciennes croyances égyptiennes, comme tant d’autres modernes ou non, témoignent de la merveilleuse odeur des dieux. Aujourd’hui nous l’appelons “odeur de sainteté” ; de nombreux canonisés avaient la réputation de répandre une douce odeur lors de leur mort. “À tous ceux qu’il aime et plus particulièrement aux morts, Isis transfère son odeur, ainsi que le faisait Osiris”. Ainsi, l’odeur de l’encens est donc un des parfums des dieux. Il semblerait même que l’encens ait été emporté par Adam du jardin d’Éden.
Les Mayas, bien des siècles avant que les européens ne les découvrent, se servaient d’un encens, le copal. selon leur livre sacré, le Popol-Vuh, il fut extrait de l’Arbre de Vie par une divinité chthonienne (qui est une sorte de titan venant de l’intérieur de la terre) qui offrit aux hommes, comme son propre sang, cette sève rouge qui se coagule à l’air. Pour les Mayas, le copal était la résine céleste ; sa fumée se dirigeant d’elle-même vers le milieu du ciel était l’émanation de l’esprit divin.
Les Égyptiens étaient passés maîtres dans l’art de préparer et d’employer l’encens. La fabrication était un acte sacré effectué lors d’un rite secret, durant lequel les pratiquants psalmodiaient des textes sacrés. Ce rite remplissait une mystérieuse fonction d’ordre et d’harmonie et chargeait certainement le produit d’une force supplémentaire, inexistante dans les produits fabriqués ou traités industriellement.
Le plus célèbre des encens égyptiens est le Kyphi. La combustion des différentes variétés d’encens formait une partie importante des rites, car chaque ingrédient était doté de propriétés magiques et mystiques bien spécifiques. Lors de l’adoration du dieu soleil Râ, les Égyptiens brûlaient trois fois l’encens en son honneur tout au long de la journée.
Les hindous ont toujours été de grands amateurs d’odeurs suaves et de tout temps, l’Inde a été célébrée pour ses parfums. Très tôt, ce pays importa des matières thurifères en provenance d’Arabie. Toutefois, l’emploi de substances odoriférantes telles que le benjoin ou autres gommes-résines, graines, racines, fleurs séchées et bois aux douces senteurs remonte plus loin encore. L’un des ingrédients sans doute le plus populaire et depuis toujours le plus exporté est le bois de santal.
La sybille hindoue de Kush s’aide de plantes et des herbes sacrées pour atteindre cet état temporaire d’inspiration divine. Après avoir placé une étoffe sur sa tête, elle inhale leur fumée. Elle est alors saisie de convulsions et tombe inanimée sur le sol. dans cet état, elle émet ses prophéties.
Dans l’hindouisme moderne, l’emploi de l’encens est assez fréquent. le culte de Shiva recommande aux prêtres d’en brûler quotidiennement devant la statue du dieu Orissa ou sur une pierre le représentant. Devant l’image de Krishna, sont brûlés le camphre et l’encens. L’encens est, dans le rituel hindou, en rapport avec l’élément Air. Il est dit représenté la perception de la conscience qui y est partout présente.
Les nombreuses références à l’encens dans l’Ancien Testament démontrent clairement que son emploi dans le rituel juif remonte à la nuit des temps. des érudits estiment que l’encens était déjà employé dans le rituel judaïque au septième siècle avant notre ère. Une fois adoptée, cette pratique ne fit que s’amplifier au cours des siècles. Le premier encens n’était composé que de très peu d’ingrédients tels que stacte, onyx, galbanum… Sa préparation par les prêtres était considérée avec le même respect que celle du kyphi des Égyptiens. Dans l’Exode 30, 34-38, on peut lire : “Le Seigneur dit à Moïse : « Prends des aromates, storax, onyx, galbanum, aromates et pur encens chacun en quantité égale et tu en feras un parfum à brûler comme en opère le parfumeur, salé, pur, saint. Tu en broieras finement une partie et tu en mettras devant le Témoignage, dans la Tente du Rendez-vous, là où je te donnerai rendez-vous. Il sera pour vous éminemment saint, le parfum que tu fais là, vous n’en ferez pas pour vous-mêmes de même composition…» ”
Pour les Grecs et les Latins aussi, l’encens ne pouvait avoir qu’une origine mythologique. Selon une fable rapportée par Ovide dans ses Métamorphoses, l’encens serait né de l’union du soleil et de Leucothoé, fille d’Orchamos, roi des Perses et suzerain du pays des aromates. Aphrodite embrasa de désir l’astre impassible afin de se venger de celui-ci qui avait dévoilé ses nombreuses infidélités. Orchamos, découvrant que Phoebus était devenu l’amant de sa fille, voulut la soustraire définitivement à cette passion. À la tombée du jour, il fit enfouir la malheureuse dans une fosse profonde que l’on recouvrit de sable. Au matin, lors de son sur la terre, le soleil éperdu chercha Leucothoé; quand enfin il la retrouva, il voulut la réchauffer de ses rayons, mais il était trop tard. Alors, désespéré, Phoebus répandit sur le corps inanimé un nectar divin, en faisant à son amante cette promesse : “Malgré tout, tu monteras au ciel”. Aussitôt jaillit du sol le premier arbre à encens. D’un corps promis à la décomposition, le dieu avait fait un aromate destiné à relier le ciel et la terre…
Pour les bouddhistes, l’encens servait non seulement lors de cérémonies initiatiques des moines, mais également lors de rites quotidiens du monastère et du clergé local. Offert pour obtenir l’aide des bons esprits, son emploi s’intensifie lors des festivals où des nuages d’encens emplissent l’atmosphère, à l’occasion de baptêmes, d’exorcismes et autres cérémonies. Encens et parfums forment l’une des cinq offrandes sensorielles, qui est une des sept étapes d’adoration.
Pour les bouddhistes japonais, l’usage de l’encens est très courant et il a ainsi influencé le culte japonais, le shinto.
Les Chinois recommandent d’en brûler avant de consulter les dieux. L’encens joue également un rôle important lors des cérémonies et des processions funéraires où il agit comme désinfectant et représente le cadeau offert au sens olfactif de l’âme en partance.
À Canton, durant la troisième semaine du douzième mois, on procède à un grand nettoyage de la maison et la fumée de trois bâtonnets d’encens chasse le démon de la pauvreté.
Les romains utilisaient l’encens régulièrement avant et durant leurs sacrifices. Il fut également lié aux exécutions perpétrées sous le règne de l’empereur Decius qui persécuta les chrétiens sans répit. L’encens devint en effet le symbole du chrétien reniant sa foi, qui, pour ce faire, devait brûler quelques graines d’encens devant une idole ou devant l’empereur lui-même…
Certainement pour cette raison, la chrétienté fut lente à adopter l’encens dans ses rites. Pourtant, l’or, l’encens et la myrrhe se placent en tant que symboles de prédiction de l’être et de la vie de l’enfant Jésus.