La pratique de la méditation est fondamentalement l'expérience de l'immédiateté de l'instant présent, de ce qui est là, tout simplement, libéré du filtre déformant de nos projections.Par
Lama Denys Le non-attachement : liberté au présent S'engager dans la voie du dharma enseigné par le Bouddha est se recentrer sur l'essentiel. Nous sommes habituellement attachés aux gratifications sensorielles, fascinés et possédés par celles-ci. L'attachement est une aliénation douloureuse ; la recherche frénétique et névrotique de biens extérieurs, bien qu'elle ait pour objectif d'obtenir le bonheur, conduit pratiquement à des conflits douloureux. Réaliser cela entraîne une perte de la fascination par les choses habituelles ; c'est ce qu'on appelle le désillusionnement, qui est en fait la perte de bien des illusions qui nous aliènent douloureusement.
Voyant ce que les poursuites habituelles du monde ont d'insatisfaisant, on peut simplement les délaisser pour se consacrer à l'essentiel, dès maintenant. Il ne s'agit pas de renoncer péniblement, sous la contrainte, mais de délaisser ce que l'on reconnaît comme étant la source de problèmes et de souffrances que l'on ne souhaite pas. Cet abandon peut être joyeux comme celui d'un lourd fardeau ou de liens qui nous entravaient et dont nous nous trouvons libérés.
Il ne s'agit ni d'une attitude de rejet, d'abandon du monde, ni de fuite devant ses responsabilités, mais de la compréhension que le bonheur authentique et la liberté fondamentale ne viennent ni des possessions ni des poursuites extérieures. Pour développer cette compréhension, il existe différents types de considérations et de méditations sur l'impermanence et le caractère insatisfaisant du samsara - le cycle des états de la conscience habituelle -, celles-ci conduisant au non-attachement, qui est fondamentalement une attitude libre et disponible à l'instant présent.
Motivation : l'esprit d'éveil Le non-attachement permet une liberté intérieure et extérieure. Il s'agit ensuite de développer l'état d'esprit juste, bodhicitta, l'esprit d'éveil. Bodhicitta est la motivation bienveillante qui permet de dépasser les fixations de l'ego par l'ouverture aux autres et au monde : c'est la compassion du non-ego.
La pratique de bodhicitta - l'éveil du cœur-esprit - se fait particulièrement dans l'échange de soi et d'autrui ; plutôt que de ramener toujours toutes choses à notre point de vue personnel égotique, nous apprenons à considérer autrui comme important, aussi important que nous-même. Il s'opère ainsi progressivement un renversement des priorités de l'ego, les autres devenant finalement plus importants que nous-même. Nous pouvons alors, à chaque instant, cultiver envers eux une attitude positive de bonté et de bienveillance. Cette attitude consiste à souhaiter pour les autres ce qui est bon, positif et heureux. Cette motivation, bodhicitta, est souvent appelée la pierre philosophale , au sens où elle transforme tout ce qui est fait, en une pratique du dharma, quelle que soit notre activité. Finalement, tout ce qui est fait pour le bien d'autrui est pratique du dharma, alors que tout ce qui est fait dans un intérêt égotique est non-dharma. Ramène toutes pratiques à une seule dit une maxime de l'apprentissage spirituel, ce qui signifie : avoir, en chaque circonstance et pour tous une attitude de bonté bienveillante ; c'est l'esprit d'éveil au niveau relatif, relationnel.
La méditation : relation juste à l'instant présent La méditation est essentiellement l'expérience du présent, l'expérience immédiate des situations. Elle propose une expérience simple et directe de nos pensées et émotions, et de la réalité extérieure. Nous y apprenons à avoir une relation juste à nous-même et aux autres, une relation juste à l'altérité, que celle-ci soit en nous, dans nos pensées et nos émotions, ou qu'elle soit hors de nous, dans les autres et les situations du quotidien.
Cette relation juste est fondée sur l'absence de fixations, au-delà des attitudes d'attraction, de répulsion et d'indifférence qui sont les trois attitudes égotiques de base : les trois poisons de l'esprit.
La méditation est fondée sur l'attention et la conscience dégagée. L'attention est une acuité, une vigilance qui s'exerce dans l'instant présent, qui perçoit avec précision les choses telles qu'elles sont ; la conscience dégagée est un état d'esprit ouvert, libre de fixation sur les expériences de l'attention. Ce dégagement est une ouverture dans laquelle il y a réceptivité et disponibilité à ce qui se présente, quoi que ce soit.
Dans l'attention et la conscience dégagée, les situations de la vie quotidienne peuvent être vécues de façon juste et pertinente car il y est possible alors d'expérimenter les choses dans leur réalité directe. Dans le lâcher-prise, nous cessons petit à petit de nous fixer sur les pensées, les émotions et les événements ; nos projections deviennent de plus en plus transparentes, et cette transparence permet de plus en plus de liberté intérieure et d'espace extérieur pour répondre avec justesse aux situations. Cette justesse est celle d'une authentique spontanéité, en adéquation et en harmonie avec la situation telle qu'elle est.
La pratique de la méditation est fondamentalement l'expérience de l'immédiateté de l'instant présent, de ce qui est là, tout simplement, libéré du filtre déformant de nos projections. C'est l'aboutissement de la pratique qu'on nomme en sanscrit shamatha-vipashyana. Shamatha est alors la qualité d'un esprit stable, et vipashyana est sa clarté, qui voit directement l'expérience de la réalité.
Méditation et retraite Généralement, on a tendance à dissocier méditation et action, vie contemplative et vie active. Cela entraîne de graves problèmes. Si l'on réalise l'essence de la méditation, il n'y a aucune antinomie entre méditation ou contemplation et action.
Fondamentalement, la pratique de la méditation ne nécessite pas qu'on aille vivre en retraite ou en ermite dans la solitude des montagnes ; il est très important de bien le comprendre. Il est possible de pratiquer la méditation dans la vie quotidienne, et c'est ce que font la plupart des pratiquants ; on peut progresser ainsi et en tirer de grands bienfaits. Néanmoins, les bases de la méditation se développent mieux et plus facilement dans le calme et l'isolement. Le silence extérieur est un élément favorable pour développer le silence intérieur, et le calme extérieur est un élément favorable pour développer le calme intérieur.
La discipline de la méditation se développe d'autant plus facilement que l'environnement est favorable, que l'on est moins soumis aux stimulations et agressions du monde extérieur, qui engendrent agitation, pensées, émotions et réactions conflictuelles. C'est pourquoi, pour trouver les conditions optimales de pratique, on pourra se mettre en retrait de l'agitation et des distractions, ce qui est accompli dans une situation de retraite. On peut, sans s'éparpiller, s'y consacrer pleinement à la pratique en réduisant autant qu'il se peut tout ce qui habituellement nous possède et nous distrait de l'état d'attention, de simple présence.
Une expérience extraordinaire de la vie ordinaire Quand l'expérience de présence attentive et ouverte s'est un peu stabilisée dans la méditation assise, il est possible de l'extrapoler et de l'intégrer dans les situations de la vie quotidienne, en action. Y revenir est ce que l'on appelle le rappel . Dans la méditation en action, c'est-à-dire dans la vie quotidienne, il s'agit de développer de plus en plus fréquemment ce rappel. Il devient alors de plus en plus régulier : vous vous rappelez effectivement l'état de méditation lorsque vous vous éveillez, lorsque vous prenez votre voiture, lorsque vous mettez le pied sur la première marche de l'escalier, lorsque vous abordez un interlocuteur, lorsque vous décrochez le téléphone, lorsque vous allez mettre une clef dans la serrure d'une porte, lorsque vous allez commencer un repas, lorsque vous allez vous endormir..., en bref, dans toutes les situations concrètes du quotidien. La pratique essentielle de la méditation est de développer ce rappel constamment ; à la limite, à chaque instant.
La pratique régulière du rappel transforme les situations de la vie quotidienne. La vie ordinaire est toujours la vie ordinaire, mais l'on en développe une expérience extraordinaire qui la transforme complètement. Cette expérience extraordinaire de l'ordinaire est la méditation en action. La vie quotidienne vécue en retrait des fixations qui habituellement nous possèdent est la retraite fondamentale .
Retraite fondamentale et vie de retraite Dans la tradition bouddhique, de nombreux accomplis ont atteint la réalisation en dehors d'une vie érémitique ou monastique. Ils ont continué leurs activités dans le monde en changeant leur attitude intérieure. Ils ont appris à vivre dans l'état de mahamoudra, l'instantanéité immédiate . Ils ont compris son expérience et, la cultivant en toutes circonstances, sont arrivés au plein et parfait éveil. Certains étaient cordonniers, fabricants de flèches, marchands de vin, fermiers, etc... Tout en exerçant leur profession, quelle qu'elle soit, ils ont vécu celle-ci en l'expérience de mahamoudra, et ont, dans leur métier, réalisé l'éveil.
Il est important de comprendre que cette possibilité existe, mais en même temps qu'elle n'est accessible qu'à des personnes ayant une réceptivité exceptionnelle. Pour les personnes communes, il est nécessaire de développer une pratique qui combine méditation assise et en action. La méditation assise est alors une situation de retrait, d'apprentissage, préparatoire à la méditation en action. Une retraite de méditation, pendant laquelle on se consacre pleinement à la pratique assise, est cette situation de retrait poussée à son intensité maximale. S'il ne s'agit pas d'un but mais, par contre, c'est un moyen important qu'on doit apprendre à utiliser à bon escient.
C'est pourquoi on commencera généralement à travailler sur son esprit, ses pensées, ses émotions, dans le calme de la méditation assise, en retrait ; puis, petit à petit, les qualités et les découvertes entr'aperçues dans cette situation de retrait seront intégrées à la vie quotidienne.
Ainsi, bien que la méditation en action soit le but et l'idéal d'un bodhisattva - un héros d'éveil -, il est juste que celui-ci se mette temporairement à l'écart. Nombre de grands bodhisattvas ont même passé leur vie en retraite car ils n'avaient pas encore acquis la stabilité intérieure qui leur aurait permis d'aider véritablement autrui au niveau le plus essentiel, ou bien parce qu'ils jugeaient que pour eux, la meilleure façon d'aider était de montrer l'exemple d'un retraitant qui soit une source d'inspiration pour ceux incapables de se défaire des filets du samsara.
Vouloir se mettre à aider autrui prématurément risque de causer à l'autre et à soi-même de grands torts. Si l'on veut sincèrement soigner et aider, il est primordial d'être capable de le faire bien ; aussi longtemps que l'on n'a pas la compétence d'un médecin, il est juste de continuer ses études et son apprentissage sans s'improviser soignant. Mais entendons-nous bien : cette prudence n'empêche pas d'aider déjà, modestement, au niveau où l'on en est capable, dès aujourd'hui et autant qu'on le peut.
Le dharma et la vie Petit à petit, l'expérience de la méditation et la vie quotidienne fusionnent. Au début, elles peuvent sembler très différentes, mais par la discipline et la pratique du rappel, par l'apprentissage assis et en action, aussi bien en étant en retrait qu'en s'engageant dans l'activité, vigilance, conscience dégagée et bodhicitta s'intègrent en chaque situation. Notre esprit et le dharma fusionnent progressivement, et finalement le dharma est la vie quotidienne et la vie est dharma ; nous sommes dharma.