Le Tarot dit de Charles VI, dont dix-sept cartes sur soixante-dix-huit sont conservées, est l’un des rares témoignages des luxueux jeux princiers de la Renaissance italienne dont une vingtaine d’exemples subsistent.
Créations d’érudits, ces jeux abondaient en allégories, symboles et emblèmes, diffusant la nouvelle culture. Les humanistes souhaitaient une compréhension immédiate de la connaissance et pensaient atteindre ce but par un langage visuel. L’art devenait alors l’un des supports du savoir. L’iconographie des tarots, qui puise dans le sacré et le profane, correspond à la culture médiévale et humaniste
Le SoleilUne jeune fille file la laine de sa quenouille d’une main et retient le fil du fuseau de l’autre, sous un soleil mouvementé, aux rayons ondulés, à visage humain. La fileuse évoque les Parques, divinités qui présidaient à la naissance et à la mort des humains en coupant le fil des jours des mortels. Leur attribut étaient le fuseau, bobine galbée pour filer à la quenouille. Lorsque celle-ci était vide, l’existence humaine s’était écoulée.
La LuneLa Lune n’est pas figurée sur son char, un croissant dans la main, à l’image de Diane parcourant le zodiaque, iconographie habituelle à la Renaissance. C’est d’une manière plus scientifique, en faisant allusion aux recherches astronomiques et non aux divinités antiques, que l’artiste a imaginé cet atout. Deux astronomes, l’un revêtu d’un habit de moine, l’autre coiffé d’un turban d’oriental, relèvent à l’aide de compas les mesures fournies par l’observation d’un croissant de lune. Tandis que l’un d’eux regarde l’astre et écarte les branches de son instrument pointées vers le ciel, l’autre trace des figures sur les pages d’un livre. Il peut s’agir aussi d’astrologues ; au Moyen Âge et au début de la Renaissance, l’astrologie et l’astronomie confondues constituaient l’un des sept arts libéraux. Les humanistes s’appuyaient sur le savoir antique pour valoriser l’astrologie et pensaient que toute existence dépendait du cosmos. Il se peut que cette interprétation se soit prolongée dans certains domaines culturels.
Le PenduLe personnage est pendu par un pied à un portique constitué de branches d’arbre. La corde s’enroule autour de sa cheville. L’une de ses jambes est repliée. Il tient dans chaque main une bourse débordant de pièces d’or, sans doute butin d’une trahison et cause de sa punition. Ce châtiment était infligé au chevalier parjure, qui était pendu et battu. S’il survivait, il était représenté dans cette posture. Cette sanction existait en Italie, en Allemagne et en Écosse.
La MortLa Mort, squelette décharné revêtu d’une tunique retenue à la taille par une écharpe blanche à volutes, le crâne ceint d’un turban de même couleur, chevauche un coursier noir. Elle brandit son attribut, la faux, dont le manche, au premier plan, crée la profondeur. Le cheval franchit la "barrière" de la carte, débordant le cadre. L’artiste se souciait davantage de l’effet impressionnant de l’ensemble que de son dessin initial. Dans sa fougue, l’animal escalade cinq défunts, un pape, un évêque, deux cardinaux, un roi, allusion à la vanité des grandeurs humaines.
L’arme menaçante, la faux, fut empruntée à Saturne, qui, avec cet attribut, figure le temps. Ce dieu agraire des Latins, dont le règne d’abondance et de paix correspondit à l’âge d’or, était représenté à l’origine avec une faucille. Dès la période romaine classique, il fut assimilé au dieu grec Cronos, puis au temps Chronos. L’homonymie des termes fut, semble-t-il, à l’origine de cette confusion. Macrobe (début du Ve siècle) dans les Saturnalia, donna à la faucille une autre signification : "certains pensent que la faucille lui a été attribuée parce que le temps fauche tout". La faucille se transforma en faux au cours du Moyen Âge, et devint le symbole d’un pouvoir destructeur, celui de la mort. Elle resta aussi l’attribut du Temps, auxiliaire de la Mort.
Le cheval est une référence aux quatre cavaliers de l’Apocalypse, dont l’un symbolise la mort. Celle-ci est l’une des fins dernières de l’homme avant le Jugement dernier, le paradis où l’enfer.
La Tour ou la Maison DieuTour carrée, crénelée d’où s’échappe des flammes, elle se lézarde, et semble frappée par la foudre. Cet atout pourrait être une évocation de la destruction de la tour de Babel que les hommes, rêvant d’atteindre le ciel, avaient construite avec des briques cuites, cimentées par du bitume. Dieu irrité de l’orgueil des hommes, empêcha la poursuite du chantier en confondant les langues. La destruction de la tour n’est pas mentionnée dans la Genèse, mais la dispersion des ouvriers la rend implicite.
C’est à partir de la fin du Moyen Âge que les artistes imagineront la dislocation du bâtiment provoquée par des éclairs jaillissant du ciel plutôt que par une intervention divine ou une tempête comme ils l’avaient fait antérieurement.
Les marches de feu qui se succèdent sur l’un des côtés de l’édifice pourraient représenter la rampe extérieure qui figure dès le XIVe siècle dans l’iconographie de la tour de Babel.
L’appellation de Maison-Dieu peut surprendre pour cette forteresse à la porte obscure, cependant en hébreu Babel signifie Porte du ciel et correspond bien à la fonction que devait remplir cette tour.