C'est le même sentiment de présence, d'être là, “d'être soi” que nous apporte la lecture à haute voix. L'expérience nous montre qu'on ne peut pas lire à haute voix en pensant à autre chose, en étant “ailleur”. C'est en lisant des yeux que notre esprit s'évade, notre pensée vagabonde : une idée lue en a trouvé d'autres en nous qui nous ont emportés : il faut alors relire le paragraphe commencé, revenir en arrière pour trouver le fil ! Dans la lecture à haute voix, au contraire, on “se sent lire”, on sent le corps dans une certaine position, le livre dans les mains ; on entend sa propre voix, les yeux voient les caractères, les mots, les phrases. On se rend compte qu'on lit, la lecture est vraiment alors un acte conscient. Cet exercice contribue beaucoup au développement du contrôle ; non seulement le sujet demeure actif à ce qu'il lit, s'approprie des idées, les comprend mais encore prend conscience des mots, des phrases, qui les expriment². Cette maîtrise de la pensée, jusque dans sa forme, devient alors un moyen extraordinaire de développement de la personnalité.
Il faut le pratiquer, par étapes successives, de la manière suivante :
1ère étape: Choisir un passage d'une dizaine de lignes d'un ouvrage apprécié. Le lire d'abord des yeux, puis à haute voix, en faisant la différence entre les deux lectures, puis en prenant conscience de la manière dont on lit : si on est distrait ou non, si on comprend ou non, afin de bien se rendre compte des difficultés, s'il y en a.
2ème étape: Reprendre alors la lecture, en écoutant le voix, en se familiarisant avec elle, en sentant le livre dans les mains, puis en notant des idées, les mots, les expressions employées.
3ème étape: Fermer le livre après la lecture et raconter ce que l'on vient de lire.
4ème étape: La lesture terminée, expliquer à un auditeur réel ou imaginaire le passage lu, comme si l'on voulait le discuter avec lui.
²: Certains états “d'incontrôle” sont si bien établis qu'il est possible de lire à haute voix en pensant à toute autre chose. C'est l'analyse qui peut permettre de saisir le mécanisme d'un conditionnement et affectivement traumatisante. De même que lorsqu'on se laise prendre par la musique des mots, leur rythme, on peut lire à haute voix et ne rien comprendre du texte. Ici la sensation trop envahissante bloque la pensée, alors qu'en général c'est la pensée en s'évadant qui arrête la lecture. On néglige l'une des deux conditions de l'acte conscient : il faut certe sentir, mais aussi avoir conscience qu'on sent.